- ALAMANS, THURINGIENS ET BAVAROIS (ARCHÉOLOGIE ET ART DES)
- ALAMANS, THURINGIENS ET BAVAROIS (ARCHÉOLOGIE ET ART DES)Trois peuples germaniques, en grande partie établis sur le territoire de l’Allemagne et de l’Autriche actuelles, ont eu des histoires et des cultures intimement mêlées.Le nom des Alamans (de Allmänner , Allmannen = tous les hommes) n’apparaît dans les sources historiques qu’au début du IIIe siècle après J.-C. Comme celui des Francs, il ne qualifie pas un peuple ethniquement homogène, mais la fusion d’un certain nombre de tribus germaniques qui étaient installées dans le triangle des champs Décumates (délimité par le Rhin et le Danube supérieurs) et avaient été de longue date en contact guerrier ou pacifique avec le monde romain voisin. Dès la seconde moitié du IIIe siècle, les Alamans opérèrent des raids, souvent repoussés, en direction de l’Empire romain, entreprenant ainsi une expansion territoriale qui fut en partie contenue par les empereurs du Bas-Empire. Lors de l’avènement de Clovis (481 ou 482), leur territoire s’était considérablement agrandi, délimité à l’ouest par les Vosges, au sud par les Alpes, à l’est par l’Isar et au nord par le Main. Cette expansion fut alors arrêtée au nord-ouest par les Francs (bataille dite à tort de Tolbiac = Zülpich, en 495 ou 496), mais elle se poursuivit en Suisse, où un processus de colonisation s’instaura au détriment des Burgondes. Des groupes d’Alamans parvinrent à s’établir jusque vers Langres et Besançon. D’autres tentèrent des percées en direction de l’Italie, au milieu du VIe siècle, tandis que la poussée alémanique était contenue à l’est par les Bavarois et au nord par les Thuringiens.Au faîte de sa puissance aux IVe et Ve siècles, la dynastie alémanique ne survécut pas aux protectorats que les Francs mirent en place dès le début du VIe siècle, sous l’autorité d’un «duc» des Alamans (dux Alamannorum ). Cependant, l’aristocratie alamane conserva l’essentiel de son pouvoir ainsi qu’une relative autonomie locale ou régionale. À partir du VIIe siècle, les ducs, jusqu’alors choisis par les Francs, affirmèrent progressivement leur indépendance et entrèrent en conflit avec la dynastie mérovingienne et les maires du palais austrasiens. Carloman mit fin à cette situation en 746, date à laquelle l’aristocratie alamane fut brisée à la bataille de Cannstatt, qui marque la fin de l’histoire des Alamans comme «nation».Issus du regroupement au IVe siècle de tribus germaniques du Nord (Angles et Warnes en particulier), les Thuringiens étaient établis au début du Ve siècle entre le cours moyen de l’Elbe et le Main, où ils connurent le protectorat des Huns. L’effondrement de l’empire d’Attila, peu après le milieu du Ve siècle, favorisa leur expansion territoriale et la formation d’un puissant mais éphémère royaume en Germanie intérieure. Dès la fin du Ve siècle, ils se heurtèrent aux Francs, à l’ouest, où Clovis les arrêta sur le Rhin inférieur en 491, puis sur le Rhin moyen peu avant sa mort (511), empêchant ainsi l’extension de la Thuringie occidentale. Les Thuringiens tentèrent également de s’étendre vers le sud, en Franconie, et vers l’est, en Moravie, entrant ainsi en contact avec les Alamans et les Lombards. Ils nouèrent des alliances avec les Ostrogoths, en Italie, et les Lombards, en Pannonie. Après quelques années de paix, la guerre reprit entre les Thuringiens et les Francs, les fils de Clovis soumettant en 531 le royaume de Thuringe et mettant en place un processus de colonisation qui se poursuivit jusqu’au VIIe siècle. Une grande partie des Thuringiens émigra alors en Bohême et en Pannonie, puis accompagna les Lombards en 568 lorsqu’ils quittèrent la Pannonie pour l’Italie.Sans doute installés en Bohême au début de notre ère (leur nom dérivant de Bai a-haimwarjoz/Bai a Warjoz = les descendants des habitants de Bai a heim/Bohême ), les Bavarois franchirent le limes du Danube moyen et s’établirent au sud du fleuve à la fin du Ve ou au début du VIe siècle. Soumis aux Alamans jusqu’en 495-496, date à laquelle Clovis vainquit ces derniers, puis aux Ostrogoths jusqu’en 537, ils passèrent ensuite sous la domination des Francs.L’histoire «nationale» de ce peuple germanique ne débuta en fait réellement qu’au milieu du VIe siècle, avec l’émergence de la dynastie des ducs agilolfiens qui bénéficia de l’effondrement des royaumes thuringien et ostrogothique. Soumis à un protectorat franc beaucoup moins contraignant que celui des Alamans, du fait de leur éloignement, les Bavarois devinrent indépendants à la fin du VIIe siècle et entreprirent aux VIIIe et IXe siècles une expansion territoriale en direction des Alpes (Brenner, Haut-Adige) et de la Basse-Autriche, se heurtant aux Lombards, aux Slaves et aux Avars. À l’époque ottonienne, ils constituèrent le duché national de Bavière.Caractères généraux des arts alaman, thuringien et bavaroisSi la personnalité «nationale» des Alamans, des Thuringiens et des Bavarois apparaît clairement dans les sources historiques traditionnelles, l’archéologie, funéraire pour l’essentiel, ne permet pas toujours d’établir une nette distinction culturelle entre ces trois peuples germaniques.À une définition ethnique stricte des arts «barbares» (selon la terminologie traditionnelle), longtemps à la mode, on préfère aujourd’hui des approches géopolitiques, à coup sûr plus nuancées. C’est ainsi que les arts alaman, thuringien et bavarois doivent être moins considérés comme ceux de «nations» que comme des variantes régionales particulièrement significatives de l’art «mérovingien». Offrant bien des analogies entre eux, ces arts présentent en effet des traits originaux qui sont liés à l’histoire même de ces peuples. La situation géographique des pays alaman, thuringien et bavarois a ainsi favorisé la multiplicité d’influences culturelles vivifiantes, qu’elles viennent du nord (contacts avec le monde scandinave par le biais des Thuringiens), du sud (modes méditerranéennes transmises par le canal des Ostrogoths, puis des Lombards), de l’ouest (culture «romano-franque») ou de l’est (diffusion des modes byzantines et nomades notamment, grâce aux contacts avec les Avars). Situés à la périphérie orientale du monde mérovingien, dans des régions où la culture romaine n’avait guère pénétré et où la culture chrétienne devait se répandre plus tardivement (à partir des alentours de 600), les mondes alaman, thuringien et bavarois constituaient de ce fait des terrains particulièrement favorables à l’éclosion d’arts «provinciaux» beaucoup plus libres que celui des Francs, notamment en ce qui concerne le «style animalier». Ces arts furent encore stimulés par le dynamisme d’une aristocratie qui attachait beaucoup d’importance aux objets de luxe, symboles de son rang et dont les sépultures ont livré un si grand nombre d’exemplaires. La coutume de l’inhumation habillée avec mobilier funéraire (armes, bijoux, accessoires vestimentaires, voire, dans certaines chambres funéraires, objets domestiques et meubles) connut, par rapport au monde franc, une ampleur inégalée en quantité et en qualité, ainsi que des prolongements plus tardifs, liés à l’accomplissement différé de la christianisation (jusqu’au cours du VIIe siècle pour les Alamans et les Bavarois).L’art alamanLe travail de la pierreUne partie du territoire alémanique était demeurée hors de l’Empire romain et avait échappé ainsi à la civilisation urbaine: on s’explique donc que le travail de la pierre y ait laissé peu de vestiges. Ces régions furent en effet marquées par une civilisation à caractère rural où l’on construisait surtout en bois, qu’il s’agisse de l’habitat du peuple ou de celui qui était destiné aux classes dirigeantes. Quant aux églises et aux monastères qui commencèrent à se multiplier à partir de 600 environ, à la suite des missions de saint Colomban et de saint Gall, on dispose au mieux de leur plan, révélé par les fouilles (constructions en bois avec parfois un soubassement en pierre). Un petit chapiteau de calcaire trouvé à Windisch-Oberburg et orné d’entrelacs en léger relief, daté du début du VIIe siècle, est l’un des rares témoins architecturaux du début du haut Moyen Âge en pays alémanique. Le nombre restreint de stèles funéraires ou de sarcophages, dont les quelques exemples proviennent du sud du pays alémanique où la romanité avait persisté, confirme la faible place que tinrent à cette époque les arts lapidaires en Allemagne du Sud-Ouest.Les arts du boisL’archéologie montre que les arts du bois connurent un remarquable épanouissement chez les Alamans. En effet, grâce à des conditions naturelles privilégiées, plusieurs sites (notamment le célèbre cimetière d’Oberflacht) ont permis la conservation exceptionnelle d’objets en bois qui, habituellement, pourrissent rapidement en terre: à côté de seaux, de tonnelets, de gourdes, d’écuelles, on a ainsi découvert les meubles (lits, chaises, tables, etc.) qui accompagnaient de très riches dépositions en chambres funéraires. L’une des sépultures renfermait même une lyre, illustration du raffinement qui était de règle dans la vie quotidienne de l’aristocratie alémanique. Certains défunts avaient été inhumés dans des troncs d’arbres évidés (Totenbaum ) dont le couvercle était parfois décoré (par exemple le tronc d’arbre-cercueil d’Oberflacht, au Römisch-Germanisches Zentralmuseum de Mayence, R.F.A., porte un serpent bicéphale stylisé). Il paraît donc fort probable, même si les témoins archéologiques manquent, que les constructions civiles et religieuses en bois du monde alémanique étaient richement décorées, les arts du bois ayant dû se substituer aux arts de la pierre.Les arts du métalDans la mesure où les textiles, les cuirs et les bois ne se conservent habituellement pas dans les tombes, ce sont les objets métalliques, précieux ou non, qui sont parvenus jusqu’à nous en plus grand nombre et qui illustrent le mieux l’art alémanique.Autant qu’on en puisse juger par l’archéologie, les objets mobiliers servant de support à l’art décoratif alaman (poignées et fourreaux d’épées ou de poignards, bijoux, plaques-boucles de ceinture et de chaussures, etc.) ont été fabriqués dans des ateliers contrôlés et stimulés par l’aristocratie, du moins en ce qui concerne les productions de qualité, les pièces populaires étant dues à des ateliers locaux ou à des artisans itinérants (les tombes de ces derniers ont parfois été retrouvées, avec leur outillage).Dans le domaine des arts du métal, les artisans du monde alaman ont respecté les courants esthétiques qui ont marqué l’Europe mérovingienne du VIe au VIIIe siècle, tant pour les techniques que pour les formes et les décors, montrant cependant bien souvent une habileté et un sens artistique supérieurs à leurs voisins.L’orfèvrerie cloisonnée, introduite en Europe occidentale par les Huns et les Germains orientaux (après la chute de l’empire d’Attila, en 453), fut très appréciée chez les Alamans, de la fin du Ve siècle au début du VIIe siècle, qu’il s’agisse d’orner les fourreaux d’épée ou les garnitures de ceinture à plaque réniforme de l’équipement masculin, ou d’enrichir les fibules (en forme d’oiseau à bec crochu, de serpent en «S», de poisson, fibules rondes et en rosette), les bagues, les boucles d’oreilles ou les pendentifs de collier de la parure féminine. Les cloisons soudées, en tôle d’or ou d’argent doré, étaient serties de grenats sur paillons, de verroteries, de plaquettes d’ivoire ou de nacres, de pierres de couleur. Au cours du VIe siècle, les cloisons devinrent plus petites tandis que certaines plages des fibules se couvraient de fins réseaux de filigranes. Cette évolution aboutit au VIIe siècle et au début du VIIIe siècle à la mode des fibules discoïdes, polylobées et quadrilobées, en plus ou moins haut relief, dont l’ornementation était partagée entre des pierres et des verroteries en bâte et des compositions en filigranes (la conquête des rives méridionales de la Méditerranée par les Arabes ayant progressivement privé l’Occident de grenats). C’est à cette époque que commencent à se répandre les fibules discoïdes en tôle de bronze, d’argent ou d’or portant des ornements géométriques, zoomorphes ou empruntés à l’iconographie chrétienne, obtenus par estampage (plus rarement au repoussé), certaines parfois ornées de pierres et de verroteries en bâte. Cette technique d’estampage à l’aide d’une ou de plusieurs matrices (parfois des coins monétaires) sera également utilisée pour la décoration des croix funéraires en tôle d’or ou de petits reliquaires portatifs comme celui d’Ennabeuren.Les Alamans, comme leurs voisins thuringiens, maîtrisèrent parfaitement la technique des métaux coulés, bronze et argent (ce dernier presque toujours doré et en partie niellé): en témoignent, par exemple, les innombrables paires de fibules ansées dissymétriques (une extrémité étant digitée ou festonnée, l’autre rectangulaire ou ovale) qui ont été mises au jour en Allemagne du Sud. Ces fibules, ainsi que d’autres types d’objets de parure ou d’accessoires vestimentaires, ont été le plus souvent fabriquées selon la technique de la «cire perdue sur positif intermédiaire». Une matrice ou «positif primaire» (de bois dur, obtenue à la cire perdue, ou encore un objet à surmouler) servait à imprimer des moules bivalves en argile desquels on tirait des épreuves en cire de l’objet à reproduire. Ces «positifs intermédiaires» étaient soigneusement retouchés, voire ornés (le moule bivalve initial ne donnant alors que la forme de l’objet et ses éléments de fixation). Ils étaient ensuite engobés d’argile, puis cuits, ce qui provoquait, grâce à des évents et à des canaux, l’évacuation de la cire. Celle-ci était alors remplacée par le métal en fusion. Puis on brisait le second moule, non réutilisable, pour libérer le «positif tertiaire». Cette technique évitait les contraintes de la fonte traditionnelle à la cire perdue où le modèle de cire n’est pas obtenu par moulage, mais sculpté à chaque fois dans une masse de cire.Les artisans alamans, comme les artisans bavarois, pratiquèrent aussi avec talent la damasquinure pour orner les équipements guerriers ou les garnitures de ceinture. Cette technique, connue à l’époque romaine mais qui avait pratiquement disparu, réapparut dans le monde mérovingien à la fin du VIe siècle et connut ensuite un essor spectaculaire. Aux productions où prédominaient les incrustations de fils d’argent ou de laiton, rappelant les motifs du cloisonné, succédèrent des pièces combinant incrustation (argent et laiton) et placage d’une feuille d’argent.L’art animalierÀ la différence du monde franc, les pays alémanique et thuringien ont pratiqué sur leurs objets mobiliers de métal (et certainement aussi dans leurs architectures en bois) un art animalier épanoui, comparable à celui du monde scandinave: la situation périphérique de ces peuples, dont la créativité artistique était en grande partie dégagée des prolongements de l’art antique, leur conversion plus tardive au christianisme (on peut mettre en relation cet art animalier avec le paganisme) expliquent ce fait. L’origine de l’art animalier alaman se trouve dans diverses productions des bronziers du Bas-Empire (notamment des garnitures de ceinture) qui furent largement diffusées sur les limes du Rhin et du Danube durant la seconde moitié du IVe siècle et la première moitié du Ve: des motifs géométriques ou végétaux, traités à l’imitation de la taille biseautée, y sont associés à des frises périphériques en relief méplat d’animaux stylisés (fauves) ou mythologiques (griffons, monstres marins). Les premières productions alémaniques (jusque vers le milieu du VIe siècle) demeurèrent très marquées par ce style géométrique et végétal: maintes fibules ansées dissymétriques sont ornées de rinceaux ou de palmettes. Le monde scandinave, en revanche, emprunta davantage aux modèles romains tardifs son répertoire zoomorphe, qu’il interpréta et développa de façon originale, donnant naissance à ce qu’on a appelé à la suite de Bernhard Salin (1904) le «style animalier I», marqué par des reliefs imitant la taille biseautée. Ce style fut introduit chez les Alamans et les Thuringiens grâce à l’importation de fibules scandinaves, comme les célèbres exemplaires de Donzdorf (vers 500), dont une extrémité est rectangulaire et l’autre rhomboïdale (on admet également que des orfèvres scandinaves vinrent s’établir en pays alémanique et thuringien, «signant» leurs œuvres en écriture runique): les représentations animales, bien que fortement stylisées, y sont immédiatement reconnaissables car la tête et les membres sont en connexion anatomique; la composition en bandes est symétrique, associée à des médaillons ornés de masques humains vus de face ou de profil. À partir de la seconde moitié du VIe siècle et à la suite d’influences venues de Méditerranée orientale, les motifs d’entrelacs en bandes (ou les motifs de tresses) se répandent. Le monde germanique, et les Alamans en particulier, vont aussitôt combiner ces motifs avec les représentations animales du «style I», donnant ainsi naissance au «style animalier II» (dont différents sous-groupes régionaux et chronologiques ont été mis en évidence): ce style se caractérise par l’éclatement anatomique des animaux dont la tête, le cou, le corps, les pattes et l’aile sont disséminés à la périphérie ou à l’intérieur de la tresse d’entrelacs. Les mondes scandinave et irlandais connaîtront un «style animalier III» qui n’aura pas de développement notable en Europe continentale.La poterie et le travail de l’osSi les Alamans ne semblent pas avoir pratiqué l’art de la verrerie, important leurs vases de verre du monde franc (Rhénanie et pays mosan) ou d’Italie du Nord, ils produisirent jusqu’au cours de la seconde moitié du VIe siècle (époque où sous l’influence franque la poterie tournée s’impose) une poterie typique, faite à la main. À côté d’innombrables vases à panse ovoïde trapue, combinant pour leur ornementation bossettes ou cannelures et motifs obtenus au poinçon, à la molette ou incisés, on rencontre des productions très originales, en forme de chaussure ou encore constituées de trois vases solidaires en triangle. Il faut également mentionner le travail de l’os qui a donné des peignes (avec étui) à décor finement gravé.L’art thuringienL’art thuringien, comme celui des Alamans et des Bavarois, est surtout représenté par des objets de métal (accessoires vestimentaires, objets de parure, décors d’armes, etc.) et se caractérise par de multiples influences. Au cours de sa phase précoce (Ve s.), il est marqué par des apports antiques (décors géométriques imitant la taille biseautée, très populaires en Germanie libre durant le Bas-Empire où l’on s’inspire de modèles romains). S’y ajoutent des influences hunniques (introduction du «style coloré» et en particulier de l’orfèvrerie «cloisonnée») et ostrogothiques (par exemple des fibules cloisonnées en forme d’aigle).C’est seulement vers 500, où le royaume thuringien atteint son apogée, qu’apparaissent des objets spécifiques, témoins d’un véritable art régional: petites fibules ansées symétriques à trilobes cloisonnés, fibules à tête «flammulée» ou «en tenailles» (en réalité, stylisation du motif classique de la tête d’oiseau à bec crochu). Au cours du VIe siècle, et malgré la perte de son indépendance, le royaume thuringien connaît de nouvelles influences qui vivifient son art. Des contacts suivis avec le monde anglo-saxon et scandinave favorisent ainsi l’importation et l’imitation de divers objets de parure: dans le premier cas, par exemple, des fibules cupelliformes à décor zoomorphe; dans le second, des fibules ansées asymétriques à tête rectangulaire, pied rhomboïdal et motifs animaliers en «style I évolué» (d’après la classification de B. Salin). Le monde thuringien, comme l’Alémanie et la Bavière, reçoit également des influences byzantines qui, par les cols alpins, s’exercent à partir de l’Italie ostrogothique, puis lombarde (après 568): il s’agit notamment de pendentifs en tôle d’or estampée portant la représentation stylisée de la Vierge et de l’archange Gabriel. Si les plus anciens d’entre eux appartiennent à la seconde moitié du VIe siècle, c’est seulement au cours du siècle suivant que les objets porteurs de signes chrétiens se multiplient, illustration des progrès de la christianisation sous l’impulsion des missions franques. L’archéologie en livre d’autres preuves, comme les vestiges de petites églises en bois et en pierre. Les plaques de chancel de Hornhausen (R.F.A.), qui fermaient le chœur d’une petite église du début du VIIe siècle, demeurent l’un des seuls témoins de la sculpture thuringienne, fortement influencée ici par l’art animalier nordique.L’art bavaroisIl est beaucoup plus difficile de définir un art «national» des Bavarois car, à la différence des Alamans et des Thuringiens, ceux-ci ont été tributaires, en matière culturelle, des peuples avec lesquels ils étaient en contact: jusqu’au milieu du VIe siècle, ce furent surtout les Alamans, les Thuringiens et les Lombards de Pannonie. Ensuite, l’influence des Avars, des Lombards de Haute-Italie et des Francs fut prépondérante.Autant qu’on en puisse juger par l’archéologie, et bien qu’une continuité d’occupation soit attestée dans maintes localités romaines de la rive droite du Danube, comme à Regensburg, la rupture culturelle avec l’Antiquité fut beaucoup plus grande que dans le monde mérovingien occidental. L’évangélisation de la Bavière, sous l’impulsion des missions franques, entraîna dès les alentours de 600 la multiplication des monastères et des églises. Les fouilles archéologiques révèlent les plans de ces édifices de bois ou de pierre, mais il ne subsiste rien de leur décor.À la différence de celles du monde alémanique qui leur sont contemporaines, les sépultures recèlent rarement un mobilier funéraire exceptionnel. La vaisselle de terre et de verre est en général peu représentée, exception faite de céramiques communes décorées au peigne. L’orfèvrerie suit les modes du temps. Proche de celle du monde alémanique, elle est notamment marquée au VIe siècle par des influences ostrogothiques (fibules ansées dissymétriques) et franques (fibules ansées dissymétriques et aviformes). Dès la fin du VIe siècle, l’empreinte des Lombards, établis en Italie depuis 568, domine, et c’est par leur intermédiaire que les styles et les techniques du monde méditerranéen se répandent en Bavière: décors animaliers de boucliers et de fourreaux de scramasaxes (longs couteaux ou sabres à un tranchant), fibules et pendentifs d’orfèvrerie rehaussés de filigranes, croix funéraires en tôle d’or estampé. L’imitation des modèles avars (boucles d’oreilles à pendant ovoïde, garnitures de ceinture à pendentifs multiples) et byzantins (boucles d’oreilles à pendants ajourés en lunule ou en corbeille, motifs décoratifs géométriques et anthropomorphes appliqués à la damasquinure) révèle au VIIe siècle la parfaite maîtrise des orfèvres bavarois, voire l’existence d’un véritable art national bavarois. La damasquinure sur fer (poignées et fourreaux d’armes, garnitures de baudriers, de ceinture et de chaussures) en est la meilleure expression.Si la disparition des dépôts de mobilier funéraire dans les tombes bavaroises au cours du VIIIe siècle nous a privé d’une source documentaire privilégiée, les rares objets religieux conservés dans les trésors des églises et des monastères attestent que l’essor de cet art bavarois se poursuivit: en témoigne le célèbre calice du duc Tassilo (vers 777), conservé à l’abbaye bénédictine de Kremsmünster.La visite des musées de Zurich, de Stuttgart, de Munich, de Nuremberg ou de Weimar, parmi bien d’autres musées régionaux et locaux fort riches et bien présentés, constitue la meilleure introduction à l’art des Alamans, des Thuringiens et des Bavarois, et plus généralement à celui du monde germanique au lendemain des Grandes Invasions.
Encyclopédie Universelle. 2012.